Appel à contributions : Géo-Regards – Animaux sauvages en ville

Un couple de canards sur la place de la Comédie française à Paris, une harde de sangliers dans les rues de Barcelone, un chevreuil égaré au centre-ville de Bâle ou des cerfs broutant dans les jardins des immeubles genevois, la présence d’animaux sauvages en ville a été largement commentée dans les médias durant la crise du Covid (Rutz et al. 2020 ; Manenti et al. 2020). Alors que les citadins étaient confinés chez eux, la nature urbaine semblait reprendre le dessus. Cette apparente « anthropause » (Searle, Turnbull et Lorimer 2021) a motivé de nombreux naturalistes à mener des analyses inédites de la faune urbaine (Manenti et al. 2020 ; Vardi, Berger-Tal et Roll 2021), en particulier aviaire (Gordo et al. 2021 ; Seress et al. 2021 ; Derryberry et al. 2020), et stimulé le développement des recherches en sciences sociales vers de nouvelles perspectives sur la place de l’animal en ville (Gibbs 2022).

La présence animale en ville n’a pas toujours été synonyme de bonne surprise. Généralement discrets, les rats ont en effet subi, comme les citadins, la fermeture des restaurants, dont les déchets constituent une de leur source habituelle de nourriture. Ils ont dû élargir leur territoire d’achalandage ce qui a parfois entraîné des rencontres plus fréquentes avec les citadins. Dans une cité universitaire à Villeneuve d’Ascq, le

confinement des étudiant·e·s a été d’autant plus douloureux à vivre que des blattes infestaient les bâtiments (Nunès 2020).
Ce numéro spécial de Géo-Regards, s’intéresse aux formes de cohabitations ou de voisinages (Zask 2020) avec la faune sauvage de la ville. Il interroge les relations espaces-espèces-citadins (Lorimer 2012). Par sauvages, nous qualifions les animaux qui échappent dans une large mesure au contrôle humain qu’ils soient considérés comme féraux ou liminaires (Donaldson et Kymlicka 2011). Tout en nous situant dans une géographie humanimale (Estebanez, Gouabault et Michalon 2013) associant la ville à un lieu cosmopolite de convivialité entre différents vivants (Hinchliffe et Whatmore 2006 ; Wolch 2002) ou de cohabitation multi-espèces (van Dooren et Rose 2012), notre proposition souhaite orienter le débat de la cohabitation humains animaux en ville dans trois directions, peut-être moins « réconciliatrices » et qui nous paraissent encore insuffisamment investiguées :

1– La première direction concerne les « animaux non-désirés » (Blanc 2000) ou mal aimés (Pastoureau 2009). Loin d’une nature bienfaisante et enchantée, la cohabitation avec certaines espèces peut être désagréable voire douloureuse, si ce n’est impossible. Ces animaux peuvent être considérés comme hostiles à l’humain, mais aussi à la biodiversité urbaine, à l’exemple des perruches à collier à Paris (Berthier, Clergeau et Raymond 2017). Les punaises de lit qui ont réinvesti les grandes villes depuis les années 1990 (Borel 2016) font partie des « bestioles », des « saletés » et des « multitudes grouillantes » (Raffles 2016) que les citadins préféraient ne jamais croiser. Abordée notamment dans le champ de l’histoire environnementale (Biehler 2013), la gestion des espèces sauvages indésirables en ville mérite encore d’être creusée par la géographie au travers de questions comme : Comment l’espace est-il partagé et quelles formes de cohabitation existent au quotidien entre les espèces indésirables et les habitants ? Quelles tensions existe-t-il entre les espèces non-désirées ou mal aimées et les politiques urbaines de biodiversité, et plus généralement entre ces espèces et les politiques et discours de nature en ville ?

2 – La deuxième direction concerne des espaces urbains sous-investigués. Si l’espace domestique ou l’espace l’intérieur (Staszak 2003) est devenu une échelle d’investigation de plus en plus considérée par les géographes, il a peu été abordé autrement qu’en relation avec ses résidents humains. Or comme le souligne l’écologue Rob Dunn « nous ne sommes jamais seuls à la maison » (Dunn 2018). Acariens, araignées, arthropodes, champignons, des milliers d’espèces sauvages cohabitent dans le biome intérieur. Nous imaginons ainsi des propositions qui porteraient sur les espaces domestiques et l’intérieur au sens large, et pourraient inclure des espaces tels que les caves, les greniers, les gaines techniques, les cloisons, les canalisations, et de manière plus générale les
« dessous » et les « arrières » des constructions et infrastructures urbaines. Comment ces espèces investissent-elles les environnements bâtis ? Quels types d’infrastructure ont favorisé leur présence ? Comment se négocie le voisinage entre espèces dans les espaces intérieurs ?

3 – La troisième direction concerne des animaux moins étudiés que d’autres dans la ville, à l’exemple de certains vertébrés (p. ex. batraciens et poissons) et des invertébrés en général. Si la question des vertébrés sauvages en ville (mammifères et oiseaux) est de plus en plus présente dans les travaux de géographes (p. ex. Estebanez 2015 ; Berthier, Clergeau et Raymond 2017 ; Barua et Sinha 2019), celle des invertébrés en ville (insectes ou arachnides), demeure encore largement à creuser, en dépit de travaux pionniers en ce domaine notamment sur les blattes (Mathieu et al. 1997 ; Blanc 2000). Quels types de cohabitation humanimale révèlent ces espèces-là ? Quelles problématiques de gestion voire de conservation spécifiques ces espèces soulèvent-elles en ville ?

Ces trois axes thématiques permettraient d’apporter des nouveaux éclairages sur des questions qui traversent la géographie animale ces dernières décennies et qui concernent en particulier : les dynamiques territoriales propres aux formes de cohabitation, l’agentivité des non humains, les jeux d’acteurs et discours associés, les savoirs scientifiques et profanes produits sur le comportement des espèces, les politiques urbaines de gestion, les métiers et pratiques professionnelles de gestion, les pratiques quotidiennes de cohabitation, les formes de perception.

Les articles de ce numéro pourront ainsi porter notamment, mais pas exclusivement, sur les thématiques suivantes :

  • La juste place des animaux (Mauz 2002) et l’exclusion/inclusion d’animaux sauvages en ville (Philo 1995) ;
  • La cohabitation humains animaux dans les villes du « Nord » et du « Sud » ;
  • Les injustices socioenvironnementales et sociospatiales ;
  • Les leçons de l’« Anthropause » : visibilité de l’animalité sauvage en ville en temps de Covid ;
  • Le biome intérieur : l’appartement comme milieu humanimal ;
  • Les dimensions géographiques des conflits humains - animaux (Marchand 2013) dans une ville multi-espèces ;
  • La gestion publique et privée de la présence animale en ville ;
  • Les dispositifs techniques : inventorier, accompagner ou contrôler la présence de l’animalité sauvage en ville.

Une intention d’article peut être envoyée à silvia.flaminio unil.ch avant le 31 août 2022. Elle comprendra le titre et un résumé d’environ 500 mots (hors bibliographie) montrant les objectifs de l’article. Une première sélection sera opérée avant la fin septembre 2022 pour une soumission des articles (environ 40 000 signes espaces compris, résumés et bibliographie incluses) au 15 janvier 2023 et une publication prévue à l’automne 2023.

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